Trois décennies après, Zurich envisage un mémorial pour la scène ouverte de la drogue au Platzspitz

Trois décennies après, Zurich envisage un mémorial pour la scène ouverte de la drogue au Platzspitz

À première vue, le Platzspitz n’a plus rien d’exceptionnel aujourd’hui. Les promeneurs flânent entre les arbres et les enfants jouent sur l’herbe. Rien ne laisse supposer que, à la fin des années 1980, ce parc abritait le cœur battant et tragique d’une scène ouverte de la drogue qui a marqué Zurich.

Contexte historique et chiffres clés

Entre 1989 et 1992, des milliers de toxicomanes s’y retrouvaient pour consommer de l’héroïne, vivant dans des conditions extrêmes et s’injectant sur place, parfois jusqu’à y mourir. Les secours ont dû réanimer 3600 personnes, 21 y sont mortes et plus de 5 millions de seringues ont été distribuées l’année précédant la fermeture.

On estime qu’« jusqu’à 5000 personnes » venaient consommer au Platzspitz, selon Paolo Rüegg, cité par RTS. Cela représente un nombre immense de destins et de souffrances, mais aussi de proches touchés par cette misère.

Un témoin qui a grandi à proximité

Né en 1996, Paolo Rüegg n’a pas connu cette époque de manière personnelle, mais il a grandi près du Platzspitz. Dans son enfance, on lui disait souvent de regarder où il mettait les pieds, car des seringues pouvaient traîner dans l’herbe. Aujourd’hui encore, il déplore l’absence de traces visibles du passé: Zurich a complètement nettoyé l’endroit, comme si rien ne s’était passé.

De conversations en conversations, il a choisi d’agir par le biais de l’initiative individuelle, un outil démocratique permettant de soumettre directement une proposition au Parlement communal.

Un large soutien politique

Fin septembre, le Parlement de la ville s’est penché sur son idée et a accordé une surprise: 69 élus sur 125 ont apporté leur soutien. Paolo Rüegg explique qu’il n’attendait pas un tel écho et qu’il n’agissait pas pour des raisons personnelles: l’objectif était d’impulser une réflexion et rappeler que ce chapitre ne peut être ignoré par la ville. La municipalité dispose désormais d’un délai d’un an et demi pour étudier la faisabilité d’un mémorial.

Vers un espace de mémoire, pas une plaque oubliée

La forme du monument n’est pas encore définie, mais l’esprit est clair: un espace permanent, suffisamment grand pour rendre justice aux victimes et rappeler les leçons tirées de cette période sombre. Le processus se ferait en concertation avec les personnes concernées — anciens toxicomanes, travailleurs sociaux, médecins et bénévoles ayant vécu ces années.

Un chapitre fondateur mais douloureux

Pour beaucoup, le drame du Platzspitz a profondément influencé la politique de la drogue en Suisse. C’est dans ce contexte que le modèle des quatre piliers a émergé — prévention, thérapie, réduction des risques et répression — ainsi que des mesures comme la distribution contrôlée d’héroïne ou de méthadone. Zurich, longtemps stigmatisée, est devenue pionnière dans l’aide aux personnes dépendantes.

Selon Paolo Rüegg, même si cette période a été douloureuse, elle a aussi permis à la société d’apprendre à mieux soutenir les personnes en détresse. Un monument pourrait à la fois honorer les victimes et rappeler les leçons tirées de ces erreurs.

Un héritage artistique et un futur lieu de mémoire

Une œuvre pourrait inspirer ce futur lieu de mémoire. En 1991, l’artiste Lilian Hasler a sculpté Der Fixer, une figure en marbre blanc de près de trois mètres représentant un toxicomane. Retirée à l’époque faute d’autorisation, l’œuvre témoignait déjà de la volonté de ne pas laisser cette réalité s’effacer. La sculpture était présente au Platzspitz le 2 novembre 1992.